Je manque souvent de patience lorsque je jardine.
Je conçois ma micro-forêt avec avidité en suivant les principes naturels, comme dans notre premier article. Je prépare mon sol avec passion, j’installe les plantes sans hésitation, comme dans notre second article. Étape par étape, très vite, tout est préparé !
Puis, la plantation à peine terminée, je reviens vérifier toutes les heures si ça pousse. Mais plus rien ne bouge… Soudainement, tout est devenu si lent… Oh là là, mais à cette vitesse, quand vais-je bien pouvoir récolter ?
Souvent, mon enthousiasme et ma fougue se heurtent aux rythmes naturels, lents, inertiels, puissants. Par dépit, je n’ai plus le choix que d’observer, patiemment.
Alors, ce qui se dévoile sous mes yeux, dans ce minuscule jardin-forêt, c’est un
entremêlement complexe de processus précis, un mouvement perpétuel rempli de mystères.
De l’ennui émergent des enseignements profonds sur la nature et sur moi-même, une
invitation à repositionner mon rapport à l’écosystème et au vivant…
Mais quels enseignements pourraient bien prodiguer 5 ou 6 légumes éparpillés dans une minuscule jardinière ? Allons voir plus précisément là où je veux en venir !
Une infinité de détails se dévoilent dans notre micro-jardin forêt en développement
Lorsque tout est planté, on peut commencer à observer nos légumes pousser !
Tiens, les feuilles de kale sont vert sombre, celles de la tomate sont plus claires. Mais les
feuilles d’une même plante ont-elles toujours la même teinte ? Tiens, la tige de la tomate est poilue, et celle du basilic est carrée ! Qu’en est-il des autres plantes ? Les fleurs de basilic sentent si bon. Mais quelle est l’odeur d’une fleur de gingembre ?
Oh, juste après le lever du soleil, une abeille vient butiner toutes les fleurs de chou kale, une à une. Au fait, les abeilles butinent-elles aussi l’après-midi ? Le goût du poireau perpétuel est plus marqué que celui des poireaux de supermarché. Mais le goût est-il le même tout le long de la feuille de poireau ? Et au pied du poireau, d’étranges insectes minuscules s’affairent sur le sol de ma petite forêt.
Que font-ils exactement ? Tiens, j’en profite pour vérifier, mon sol est-il bien à l’ombre des
feuillages et recouvert de matière en décomposition ? Reste-t-il toujours un peu frais et
humide comme dans une forêt ?
Malgré la petitesse d’un micro-jardin, tant de détails se dévoilent à l’observatrice, tant de questions émergent à l’explorateur.
Ces détails pourraient facilement nous échapper. Mais si l’on prend le temps de les observer, ils nous en apprennent énormément sur les familles de légumes, les végétaux, les insectes, le sol, les principes écologiques, les cycles, la nature.
Ces connaissances, que l’on acquiert directement par l’observation des phénomènes autour de nous, ne sont-elles pas encore plus précises, encore plus précieuses que celles que l’on peut acquérir à travers les livres ?
D’ailleurs, une telle habitude à se brancher directement sur le présent nous amène à pratiquer sans nous en rendre compte un enseignement fondamental que l’on retrouve dans toutes les spiritualités : la présence. L’instant présent, la contemplation, la pleine conscience, l’observation de la réalité telle qu’elle est.
Oui oui, jardiner, même un minuscule jardin, voilà une porte inattendue qui nous propulse directement au cœur de la vie spirituelle !
Mais prendre tout ce temps à observer au lieu d’agir, n’est-ce pas quand même un peu du
temps perdu ? Pas si sûr…
Agir ou ne pas agir ?
Alors que j’observe avec patience et attention les poils sur les tiges de mes plants de tomate, je remarque avec stupeur d’étranges petites pousses qui tapissent le sol juste sous mon pied de tomate. Oh, non, des « mauvaises herbes »;, pensé-je ! Espérant les empêcher d’étouffer plus tard mon plant de tomate, un instant plus tard, me voilà déjà en train de les arracher frénétiquement, une à une…
Mais au fait, quelles étaient ces toutes petites herbes folles ?
Des futurs pissenlits ? Des bébés plantain ? Des orties ? Des achillées ? Si c’était l’une de ces herbes si communes, alors j’ai perdu du temps en réagissant si vite avant d’observer. Car toutes ces herbes sont comestibles, et toutes ont même des vertus médicinales ! Si ces plantes se développent si bien, peut-être que cela me montre qu’il restait encore des rayons de soleil non utilisés par mes légumes ? Quand une même plante se développe en de nombreux exemplaires sur une petite surface, alors elle peut même passer du statut de « mauvaise herbe » au statut plus honorable de « plante bio-indicatrice ». C’est-à-dire que sa présence indiquera un sol déséquilibré. Trop humide ? Trop sec ? Trop riche en azote ? Trop compacté ?
Plus tard, après que ces herbes folles ont produit de la biomasse, maintenu le sol plus humide, et dévoilé toutes ces informations sur la qualité de mon sol, je pourrai soit les manger, soit les recycler sur le sol. Tout cela sans aucune graine à acheter, et très peu de travail de ma part !
Il existe des livres très détaillés pour identifier les plantes, savoir si elles sont comestibles, et comprendre ce que leur présence peut nous apprendre sur notre sol. Mais une façon très simple de s’initier à l’identification des plantes, c’est d’utiliser une application sur smartphone.
Par exemple, j’utilise souvent PlantNet, développé notamment par l’INRAE et l’association
Tela Botanica.
Ayant maintenant bien compris que je peux gagner beaucoup de temps en ne faisant rien
qu’observer, je me relance dans l’exploration de mon minuscule jardin, armé de mon
smartphone pour identifier les herbes spontanées…
Mais, alors que j’observe avec amour toutes ces plantules folles qui se développent
spontanément, je constate avec stupeur qu’une tribu d’insectes colonise les tiges de ma patate douce et commence même à en grignoter les feuilles. Oh, non, des « ravageurs », pensé-je, des « nuisibles » ! Espérant sauver quelques feuilles, un instant plus tard, me voilà déjà en train de les écraser, un à un…
Mais au fait, est-ce que, là aussi, j’aurais pu ne rien faire et observer avant d’agir ?
Les insectes font partie intégrante de la nature et de notre micro-forêt de balcon. Ils réalisent des fonctions cruciales comme décomposer les débris végétaux, enrichir le sol avec leurs excréments, remuer et aérer la terre. Certains, que l’on appelle « auxiliaires », pollinisent pour nous, ou régulent les populations d’autres insectes gourmands.
Tout comme pour les plantes, il existe des applications sur smartphone pour aider à l’identification des insectes ! Je ne les utilise encore pas fréquemment, mais je connais par exemple Picture Insect.
D’autres insectes, il est vrai, se délectent d’une partie des feuilles de nos légumes, mais n’est-ce pas la juste rétribution de leur travail de fertilisation ? Et lorsqu’une tribu d’insectes gourmands dévore toute une plante, vous commencez à vous en douter : vaut-il mieux réagir vite pour les exterminer, ou vaut-il mieux les observer pour tenter d’en tirer de précieuses informations ? Cette plante était-elle déjà malade et affaiblie ? Allait-elle périr tôt ou tard ?
Est-elle vraiment adaptée à mon climat et à mon sol ? Est-elle génétiquement modifiée ?

Mon chou Daubenton se fait dévorer par des pucerons à l’automne. Je ne fais rien, j’observe… Il repart avec encore plus de vitalité au printemps !
Souvent, on interprète les processus naturels comme bien ou mal, et on y réagit spontanément en essayant de les contrôler, de les corriger, au lieu de simplement les observer. On pense gagner du temps en agissant vite, et pourtant, en fin de compte, on peut en perdre beaucoup !
Une phrase du sage et philosophe taoïste Lao Tseu résume tout à fait ce genre de situation : « Ne pas agir, c’est agir ; agir, c’est ne pas agir ».
Ainsi, si jardiner est bel et bien une activité hautement spirituelle, qui nous invite à la
présence, on voit qu’elle est aussi une invitation à mieux comprendre des enseignements
philosophiques énigmatiques et profonds !
Mais alors, vaut-il mieux ne rien faire du tout, plutôt que d’agir ?
Oser expérimenter
Parfois, abasourdis et hébétées que nous sommes devant l’effondrement des écosystèmes, on en vient à isoler des zones naturelles pour tenter de les protéger de la destruction humaine, on en vient à ne plus oser agir par peur de faire des bêtises. Après tout, comme on vient de le voir, chaque petit phénomène naturel à ses raisons que l’on ignore souvent, et la nature n’a pas besoin de nous pour fonctionner correctement.
Pourtant, il me semble que l’on peut aussi trouver une posture intermédiaire, en nous
souvenant de ce fameux quatrième principe que je proposais dans le premier article de cette série : les perturbations. La nature est dynamique, et les écosystèmes subissent d’incessantes perturbations naturelles, comme les feux, les tempêtes, les herbivores, qui les renouvellent constamment.
Une posture plus équilibrée, serait de continuer à agir, mais en conscience.
Par exemple, je ne désherbe pas parce qu’il « faut enlever les mauvaises herbes » mais parce que « j’ai décidé de ne pas garder ces herbes folles cette fois-ci, fussent-elles comestibles »;. Ou bien, j’écrase tous ces petits insectes, non pas « parce que ce sont des ravageurs », mais parce que « je veux essayer de sauver mon plant de patate douce, même si je sais que je n’ai pas encore compris ce qui se joue derrière cette colonisation soudaine d’insectes gourmands »;.
Parfois, il nous faut bien prendre une décision, il nous faut bien agir, mais on peut le faire en conscience, tout en reconnaissant notre ignorance.
Et puis, la nature, c’est aussi la luxuriance, le mouvement, la créativité, la vivacité, la joie !
Alors pourquoi ne pas continuer à mimer la nature en expérimentant avec joie et curiosité tout ce qui nous passe par la tête ?
Par exemple, j’ai entendu dire qu’il ne faut pas planter les légumes trop proches les uns des autres, pour éviter qu’ils ne soient en compétition pour l’eau, la lumière et les nutriments.
Mais est-ce toujours vrai ? Pourquoi ne pas vérifier par moi-même ?
J’ai aussi entendu dire qu’on pouvait replanter la tête d’un ananas. Est-ce que ça marche
vraiment ? Est-ce que la nouvelle plante produit des ananas ? Et pourquoi ne pas essayer avec les têtes de carottes, de radis, etc.
Et puis, si je parviens à maintenir mon sol tout le temps humide et frais, pourquoi ne pas
essayer d’y insérer des débris de champignons de Paris ? Les filaments de mycélium
parviendront-ils à se développer et à fructifier en champignons de balcon ?
Et pourquoi pas planter des arbres, d’ailleurs ! Après tout, c’est bien une forêt que l’on veut créer ! Quelle serait la destinée d’un pépin de pomme ou de citron qui a commencé à germer, si je le sème au milieu de ma micro-forêt ? J’aimerais aussi essayer, par exemple, avec un chêne, dont les glands qu’on trouve en forêt à l’automne germent très facilement, et le feuillage est comestible. Ou bien avec un saule, dont les rameaux taillés à l’automne se bouturent très facilement.

À Taïwan, un papayer s’est invité entre nos légumes, dans notre mini-potager urbain.
Communiquer avec les plantes ?
Vous voyez, si je vous invite à l’observation, à l’expérimentation, ce n’est pas seulement que
cela permet d’en apprendre beaucoup et vite sur la nature, mais c’est aussi une invitation à ajuster profondément notre posture par rapport au vivant et à la nature, en commençant par cette minuscule forêt de balcon.
Au lieu d’agir comme un PDG jardiner, ou comme une manageuse de micro-forêt, qui décideraient comment les choses doivent être sans vraiment chercher à comprendre l’écosystème, on gagne en humilité en observant d’abord, en agissant avec plus de douceur, en réalisant tout ce qu’un micro-écosystème a à nous apprendre.
Puis, au moment où l’on aurait tendance à s’empêcher d’agir, par peur de faire des bêtises, peut-être par culpabilité, on se souvient que la nature est en perturbation constante, dynamique, joyeuse, joueuse, que nos expérimentations font aussi partie de la nature, et que nos essais sont aussi une forme de perturbation.
On retrouve alors une posture plus harmonieuse, plus simple, plus spontanée. Ni au-dessus de l’écosystème, ni en dessous, mais plutôt d’égal à égal. Je suis une partie de la nature, et cultiver mon micro-jardin commence à ressembler à un travail d’équipe entre l’écosystème et moi, une collaboration, un échange, une danse.
Mais cette idée d’un échange, d’une discussion entre l’écosystème et moi-même, ce n’est pas qu’une métaphore.
Il y a par exemple Don José Carmen, ce paysan mexicain, qui, dans les années 80, entendait les plantes lui parler et lui expliquer comment prendre soin d’elles. En suivant leurs conseils, il aurait réussi à faire pousser d’énormes légumes. Une amie me disait qu’aujour’hui en France, certains médiums communiquent avec les dévas des plantes, les esprits des plantes, pour aider les jardiniers et paysannes qui le souhaitent à mieux prendre soin de leurs cultures.
Et il y a aussi ces agriculteurs indiens qui méditent dans leurs champs pour augmenter leurs rendements. J’ai dédié un petit article sur mon blog à ce sujet !
À mon grand regret, pour le moment, je n’entends pas encore les plantes murmurer au creux de mon oreille pour me dévoiler comment je pourrais mieux prendre soin d’elles ! Alors, en attendant, j’observe… Je leur propose des expériences, puis j’observe leurs réponses…
Cette série d’articles sur la micro-forêt comestible de balcon est bientôt finie. Mais il nous
reste un dernier épisode pour le mois de mai, où nous explorerons les très nombreuses
fonctions que peut avoir un jardin-forêt, bien plus que la simple production alimentaire !
À la prochaine ! 😃

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